ON L'APPELLE MARIO, TERENCE OU TRINITA ?

Bonjour à tous,
Voici une interview avec un journalise argentin, Julio Alganaraz, pour le magazine Gente sorti en 1974.
Terence Hill venait de terminer le tournage du film Attention on va s'fâcher, avec Bud Spencer.



EXCLUSIF. TERENCE HILL, ITALIEN, UN COWBOY DE CINEMA

MON NOM EST MARIO GIROTTI MAIS ON M'APPELLE TRINITA


Je m'appelle Terence Hill, mais on m'appelle Trinita. C'est ainsi que le nouveau roi du western nous a accueillis chez lui, à Rome. Comment est né Trinita, cet anti-cowboy qui attire les foules au cinéma ? Qui est-il vraiment ? Le succès et les projets de Terence Hill. La vie de Mario Girotti, l'homme derrière le personnage et l'acteur. Son meilleur ami est argentin. Voici Trinita.

Par JULIO ALGANARAZ, correspondant à Rome. Photos : MARIA DI GRESA

Il s'excuse nonchalamment pour ses dix minutes de retard à l'interview. Il sourit, comme lorsqu'il était transporté au siècle dernier, en plein Far West, tirant au pistolet plus vite que quiconque, volant une pomme à un garçon ou taquinant Bud Spencer, son frère à l'écran, avec une farce. Oui, en quelque sorte, nous allons nous entretenir avec un trio: Trinita, le nouveau héros et anti-héros de notre époque; l'acteur Terence Hill, qui nous parle de ses films et de ses projets; et Mario Girotti, le véritable protagoniste de cette histoire.

Il va de soi que cet anti-cowboy invincible a acquis une immense notoriété. Pourtant, il ne tue personne, abhorre la violence et dévore la nourriture avec des manières inédites dans les westerns. Jugez-en par vous-même: "Mon Nom est Personne", son dernier film, a rapporté deux millions de dollars rien qu'en Italie. Et les spécialistes le désignent comme le nouveau principal exportateur de films sur le marché italien, un honneur seulement partagé par Federico Fellini et Sophia Loren.

Dans le milieu, Terence Hill a la réputation d'être "difficile". On ne le voit jamais aux avant-premières de films ou de théâtres, qui attirent pourtant "tout" Rome. Lorsque son visage apparaît dans les magazines ou sur les immenses affiches de rue (très courantes en Europe), c'est toujours sur des photos prises pendant les tournages. Il ne donne quasiment jamais d'interviews. Il protège sa famille comme une forteresse.

Si vous souhaitez faire un reportage, vous devez d'abord vous adresser à son avocat, maître Pietravale, explique la société de production.

Maître Pietravale se contente de prendre des notes. Le lendemain, une secrétaire annonce: Monsieur Girotti vous recevra immédiatement. Quelques heures plus tard, un autre coup de fil reporte l'interview au lendemain. Le jour J, alors que notre anxiété est à son comble, trois autres appels repoussent la rencontre jusqu'en fin d'après-midi. A chaque fois, la condition imposée par l'acteur est réitérée: Interdiction de prendre des photos.

Légende photo du haut : 

GENTE A Rome avec Terence Hill. L'acteur ne donne généralement pas d'interviews: J'accepte parce que je vous apprécie tous. mon meilleur ami est argentin.

Légende photo du milieu :

Comme tout le monde, depuis mon enfance, j'adorais les cowboys et leur univers. Je me suis rendu compte que j'étais fasciné par leur sens de la justice.

Légende photo de droite :

Il s'agit de Terence Hill, alias Trinita, ou encore "Monsieur Mario Girotti", comme l'indique son acte de naissance. 33 ans. Amoureux des grands espaces, il est farouchement attaché à sa vie privée. Un acteur de talent.


Tout ce dont ton magazine aura besoin sera fourni, me dit ma femme, qui a organisé la rencontre en tant que collègue de Maître Pietravale. Elle ne se décourage pas et apporte les appareils photo et le flash. On ne sait jamais.

La Via Cassia s'éloigne de Rome vers le nord, entre des collines parsemées d'immeubles d'appartements aristocratiques que les italiens appellent "palais".

Au détour de l'une de ces collines se trouve la Via Valgardena. Le numéro 3 marque l'entrée d'un parc entouré de pins romains, de plantes sauvages et d'un petit lac artificiel. Même le silence y est luxueux. mais M. Girotti Terence Hill n'y habite pas; aucun journaliste ne pénètre chez lui, sauf s'il s'agit d'un ami personnel et non d'un lieu professionnel. C'est ici, au numéro 3 de la Via Valgardena, que se trouve son tout nouveau studio.

Un portier à l'accent sicilien et aux origines paysannes, entouré de boutons rouges qui allument et s'éteignent les lumières, nous regarde d'un air méfiant, mais nous invite à monter au quatrième étage, bien que M. Girotti ne soit pas encore arrivé.

Le temps passe. Il se tient maintenant devant nous, clé à la main, sortant de l'ascenseur avec des excuses et un sourire aux lèvres. Nous entrons. Le long salon est décoré avec le goût ascétique d'architectes férus d'ultramodernisme. Plafond vert, mobilier fonctionnel, quelques petites sculptures presque abstraites, fauteuils confortables, et moelleux. notre protagoniste s'adapte à ces objets: jeans usé, chemise bleu clair ouverte, veste à carreaux, chaussettes couleur canard. La tenue typique d'un jeune américain moderne. Ses vêtements sont si usés qu'on imagine mal qu'ils aient le moindre rapport avec l'interview. M. Girotti a toujours aimé les cowboys, cela ne fait aucun doute.

Tout d'abord, je dois m'excuser pour le report de l'interview. mais je suis en train de doubler mon dernier film en italien, et il arrive que les plannings soient chamboulés...

C'est très gentil de votre part. Maintenant que nous avons pu nous réunir, nous serions ravis de discuter longuement avec vous. Un aperçu général incluant Mario Girotti, Terence Hill et Trinita. Prenez votre temps.

Oui, pas de souci. J'aime bien discuter. Par où aimeriez-vous commencer ?

Avec votre histoire.

L'histoire commence il y a 33 ans, à Venise, où je suis né. Nous y avons vécu jusqu'à mes 2 ans. Ensuite, ma famille a déménagé à Dresde, en Allemagne de l'Ouest. Ma mère est allemande, et mon deuxième nom de famille est Thieme.

Son ascendance germanique transparaît dans son visage. Blond très clair, yeux bleus, un visage fin en anguleux. Il parle d'une voix posée, mais naturelle. Il ne se retient pas, comme les extravertis, ni ne cherche à se faire discret comme les timides.

Nous avons passé 3 ans en Allemagne. Puis nous sommes revenus ici. Un temps à la campagne, puis nous nous sommes installés définitivement à Rome. J'ai mené la vie ordinaire de tout jeune homme: j'ai fréquenté le lycée, puis l'université. j'ai atteint la deuxième année de licence de lettres et j'ai abandonné...

Etiez-vous destiné à être écrivain ou professeur de lettres ?

Non. Depuis tout petit, je voulais être acteur. je crois que je me suis inscrit en lettres parce que je faisais un lien entre les deux. Finalement, j'ai compris que je devais aborder ma vocation d'une manière plus professionnelle, si c'est le terme approprié. J'ai donc quitté l'université et intégré l'Actors Studio à Rome.

L'Actors Studio ? Comme Strasberg à New-York ? Peut-être une antenne ?

Il y avait un lien. Je crois qu'il n'existe plus. J'y ai étudié pendant trois ans. J'ai suivi le cursus complet. C'était très utile.

Et ensuite ?

J'ai commencé à travailler, ce qui n'est pas facile du tout. En résumé, j'ai eu des petits rôles dans une dizaine de films, dont "Anna de Brooklyn" avec Gina Lollobrigida, où je jouais un forgeron.

C'était un peu comme vos débuts.

Oui, mais c'est très important pour progresser.

Progresser ?

Pas vraiment (il sourit). Justement parce que je n'étais pas heureux, je suis parti en Allemagne. J'ai émigré pour trouver de meilleures opportunités.

Vous parlez allemand ?

Oui, bien sûr, ma mère me l'a appris.

Combien de temps y êtes-vous resté et comment ça s'est passé ?

Trois ans, et les choses se sont améliorées. Je suis arrivé en 1964. J'ai tout de suite trouvé du travail sur un western. Vous savez, cette partie de ma vie est peu connue. A l'époque, on tournait des films de Karl May, qui se déroulaient dans l'Ouest américain. J'ai travaillé sur trois de ces films. Nous avons tourné les scènes extérieures en Yougoslavie...

Des cowboys allemands ? c'est assez incroyable !

N'est-ce pas ? Ici, en 1963, l'ère du western spaghetti, ces films de l'Ouest tourné en Italie, avait commencé. le premier grand succès a été "Pour une poignée de dollars". L'homme à l'origine de ce phénomène est Sergio Leone, un réalisateur très intelligent.

Oui...ses films ont été projetés en Argentine. mais quel rôle avez-vous joué dans cet essor ?

Je suis revenu en 1967. J'avais joué des petits rôles, mais de plus en plus importants. j'avais de l'expérience dans les westerns. A cette époque, les acteurs principaux étaient Franco Nero et Giuliano Gemma. mais le genre commençait à décliner. En ce sens, c'était le moment idéal. Guiseppe Colizzi m'a appelé et, sous sa direction, j'ai joué dans "Dieu pardonne, moi pas". Ce fut un grand succès.

Terence Hill était-il déjà né ?

Oui, à ce moment-là. Un nom est plus important qu'il n'y paraît. C'était à la mode d'en avoir un à consonance très américaine. Puis la mode est passé et tout le monde est revenu à ses noms italiens. Pas moi. Savez-vous pourquoi ? Parce que, d'une certaine manière, Hill est mon nom de famille.

Il parle maintenant en bougeant légèrement les mains, qu'il avait auparavant à moitié cachées dans les poches de son jean. L'histoire de son nom le fascine et il rit. Il hausse et baisse les sourcils. Pour la première fois, Trinita apparaît corps et âme, avec les gestes d'un garçon espiègle.

Voyons voir. Qu'en pensez-vous ?

J'ai deux frères; Eduardo (géologue) et Piero (étudiant en lettres). Un jour de 1967, Eduardo m'a annoncé qu'il allait commencer à étudier l'anglais. Comme j'avais besoin de connaître la langue pour des raisons professionnelles, je l'ai accompagné. La professeure était une américaine de New-York qui donnait des cours pour financer son voyage en auto-stop jusqu'en Grèce. je l'aimais tellement que je l'ai épousé deux mois plus tard. Comme elles est féministe, membre du Mouvement de libération des femmes, je lui ai fait comprendre que si elle devait prendre mon nom, je prendrais le sien aussi. Elle s'appelle Lori Hill, elle a 28 ans maintenant, et nous avons deux enfants: Jess 4 ans, et Ross, 10 mois.

A ce moment-là, le téléphone sonna. C'était Lori à l'autre bout du fil. La conversation se poursuit en anglais, une langue certainement parlée chez les Girotti-Hill. Après avoir réglé quelques affaires personnelles, la conversation prend fin.

Où en étions-nous ?

Au début de votre carrière...

Ah ! Oui, eh bien, après "Dieu pardonne, moi pas", j'ai joué dans "Les 4 de l'Avé Maria" et "La colline des bottes". Et aussi "Django, prépare ton cercueil". Tous ces films ont été bien accueillis par le public et ont battu des records au box-office. Ce sont tous des westerns, bien sur. En 1969, j'ai également travaillé sur "Barbagia", réalisé par Carlo Lizzani. le film mettait en vedette le célèbre bandit sarde Graziano Messina. L'histoire se déroule à l'époque contemporaine.

Trinita était en préparation.

Trinita est né en 1970. j'avais plus de vingt scénarios à étudier. je n'arrivais pas à me décider. Quand on a du succès, la peur de l'échec est beaucoup plus vive. je ressentais le besoin de créer un personnage différent, avec des nuances inhabituelles. A ce moment-là, E.B.Clucher est apparu et m'a dit: j'ai une idée. C'était le scénario de Trinita. Clucher, qui est italien, bien que son nom de famille soit allemand, travaillait comme directeur de la photographie, et nous nous connaissions. Il avait présentait le scénario à plusieurs producteurs, et tous l'avaient rejeté, le jugeant peu conventionnel. ils disaient que les dialogues étaient décousus et qu'il n'y avait pas assez de morts. Dans les films que nous faisions, il fallait "tuer" au moins 30 à 40 personnes. Sinon, il n'y avait pas assez d'action.

Le nouveau personnage ne vous a pas déconcerté ?

En fait, il me fascinait. Il était tout le contraire de l'ange aux yeux bleus, qui n'a jamais faim, est toujours impeccablement vêtu, bave peu et parle encore moins...

Oui, le cowboy américain typique. il correspond à l'image du surhomme puritain qui, dans une certaine mesure, idéalisait la conquête de l'Ouest et toute la colonisation des Etats-Unis. C'est peut-être pour cela que Trinita ne pouvait avoir été inventé que par un italien, c'est-à-dire un "Latino".

Bien sûr. remarquez que Trinita possède la faim atavique du peuple.

Si nous ne l'avons pas vécue, nos parents, eux, l'ont vécue. il y a eu des guerres ici. La pauvreté était une réalité. Trinita a faim comme un enfant. C'est pourquoi les gamins s'identifient à lui. Il voit tout avec des yeux d'enfant. Il est jeune. Il n'a pas encore connu les frustrations sociales qui accompagnent inévitablement l'adolescence. j'observe attentivement les spectateurs de mes films. D'ordinaire, on rit de façon névrotique. Dans ce monde de violence, on rit pour la repousser. Avec Trinita, on rit avec l'âme d'un enfant. Il retrouve son enfance.

Savez-vous que les enfants en Argentine ont fait de vous une idole ?

(Il se redresse légèrement dans son fauteuil, enthousiaste. Il hausse et baisse les sourcils en écoutant cette information).

Pour moi, c'est une grande satisfaction morale. Toucher les enfants est très difficile. j'aime qu'ils aiment le personnage. ca me donne le sentiment d'avoir accompli quelque chose en tant qu'acteur.

N'est-il pas possible que vous ressembliez un peu à Trinita, vous aussi ?

Oui, bien sur. Il y a du vrai là-dedans. Mon mérite a été de deviner que le scénario de Clucher contenait un personnage auquel je pouvais contribuer. Donc, dans une certaine mesure, c'était un peu mon œuvre. Au fil du temps, nous avons "poli" Trinita, le rendant plus subtile. La première version était peut-être la plus authentique, de toute façon.

Cependant, je trouve que le personnage est très bien interprété, avec une grande profondeur, dans "Mon Nom est personne", même si vous n'utilisez pas le nom de Trinita.

Bien sûr. c'est le plus beau film que j'ai jamais tourné. Nous l'avons filmé en 1973. Il est basé sur une idée de Sergio Leone, qui a supervisé tous les détails de la production. Leone voulait des décors naturels, donc le film a été tourné aux Etats-Unis, même si certaines scènes ont été filmées en Espagne et ici, à Rome. Le coût était très élevé, 3 millions de dollars pour ce type de film, mais l'atmosphère était excellente.

Légende photo en haut à gauche :

Avec Bud Spencer, son inséparable partenaire à l'écran dans "Maintenant, on l'appelle Plata", un film tourné en Colombie, ils ont troqué les chevaux contre des avions.

Légende photo du bas :

Bud Spencer, né Carlo Pedersoli (champion de natation italien), et Terence Hill dans "On continue à l'appeler Trinita". l'époque du western spaghetti.

Légende photo en haut au milieu :

Mon meilleur ami est argentin. Il est réalisateur. Il s'appelle Fernando Birri, et je le connais depuis des années. j'aime les argentins: ils sont moins formels, plus spontanés dans leurs relations. peut-être est-ce parce que c'est une nation jeune.

Légende photo en haut à droite :

Toujours le même paysage dans ses films, décor de l'Ouest. Trinita est un maître incontesté du maniement des armes; mais c'est un héros "blanc", du genre à ne recourir à la violence qu'en dernier recours.



Légende photo de gauche :

Terence Hill avec Henry Fonda dans "Mon nom est Personne", réalisé par Sergio Leone. Le film a été tourné aux Etats-Unis, à Rome et en Espagne. Un western qui renferme une parabole mythologique.

Légende photo de droite :

Terence "Trinita3 Hill est d'une grande sensibilité en amour. Dans tous ses films, il vit une romance qui semble promise à un avenir radieux.

Je me souviens de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans. Vous avez travaillé avec Henry Fonda.

Oui, Leone a en réalité créé une parabole mythologique. Henry Fonda est le dernier grand mythe hollywoodien du genre. Trinita... Personne en l'occurrence, est l'anti-mythe. C'est pourquoi il se fait appeler Personne. Trinita est en fait représenté comme il serait dans la société moderne: un hippie.

Il y a des scènes d'une grande beauté, comme celles de la Horde sauvage.

La Horde sauvage est aussi un mythe. Elle représente une sorte de mal de la nature. Jupiter qui gronde sur la Terre.

Précisons que dans le film, la "Horde sauvage" est une sorte de bande de 150 bandits cowboys qui affrontent Jack beauregard (Henry Fonda). On les entend d'abord pousser un cri assourdissant; puis ils apparaissent au milieu d'un nuage, sur fond de musique de "Tristan et Yseult". Avez-vous tourné un autre film ? 

Oui, le dernier est avec Bud Spencer. Nous avions déjà fait ensemble un film d'aventures, se déroulant en Colombie, intitulé "Maintenant, on l'appelle Plata". Nous venons de terminer "Attention, on va s'fâcher". J'y joue Kid, un homme épris de liberté qui vit dans une roulotte. Il voyage en participant à des courses automobiles. Il rencontre ben (Bud Spencer), avec qui il se lance dans une rivalité après avoir remporté un premier prix ensemble. Nous avons essayé de faire une bande dessinée sociologique. Très peu de dialogues, de l'action non-stop. Les personnages sont des masques sans véritable justification. Seule l'aventure compte.

Et l'avenir ?

Nous réfléchissons sérieusement au prochain film. Avec Bud Spencer (Carlo Pedersoli dans la vraie vie; ancien champion de natation italien, il travaillait comme docker au port de Buenos Aires), nous tournerons un film ensemble chaque année. Le plus difficile est de trouver une idée pour refaire Trinita. Mais j'aimerais aussi faire un autre western; Sergio Leone réfléchit aussi à une idée. Je vous préviens, le processus est très difficile; il faut beaucoup de temps pour qu'une bonne idée de film se concrétise. Et nous ne voulons pas faire d'erreurs.

Allez-vous toujours continuer dans le même style ? Un drôle dramatique ne vous intéresserait-il pas ?

J'aimerais jouer dans une bonne comédie. Bien sûr, un acteur doit éviter d'être catalogué. Je recherche un personnage plus profond en ce moment, mais pas entièrement dramatique.

Vous donnez l'impression d'avoir des préoccupations intellectuelles qui contrastent avec les personnages que vous interprétez et le genre western.

Je suis très intéressé par la lecture. Pour Trinita, j'ai essayé de cerner le personnage en lisant des livres nord-américains qui me donneraient des clés culturelles.

Les avez-vous trouvées ?

Oui. Dans l'histoire de Lil Abner. Repensez à la bande dessinée, aux livres qui ont été écrits, à la vie des habitants des montagnes Rocheuses, et vous y trouverez des similitudes.

C'est vrai. Ne pensez-vous pas que ce serait une bonne idée pour un futur film ?

Pas mal (sourire), j'y réfléchirai.

Lorsque nous avons demandé l'interview, on nous a clairement fait comprendre à plusieurs reprises qu'il était interdit de vous prendre en photo. On nous a aussi dit que vous étiez une personne difficile qui ne donnait pas d'interviews, que vous ne montriez pas votre famille. Pourquoi ?

Tout d'abord, je vous autorise à me prendre en photo (ma femme se met à fouiller dans les valises et à sortir les appareils photo avant de se raviser). Comprenez-moi bien. Je suis acteur. je joue des rôles. C'est pour ça qu'on me connaît. Je n'ai jamais demandé à personne de faire ma promotion. Je n'ai aucun scrupule. Je n'ai exploité aucun journaliste. Je maintiens cette position. Si je ne l'ai pas demandé auparavant, je n'ai aucune raison de perdre ma vie privée maintenant. Je ne sais pas comment ça se passe en Argentine, mais ici en Italie, la vie des artistes est très axée sur la famille; tout le monde apparaît toujours en photo. Des photos avec leur femme, leurs enfants, leur compagnes, etc. Mais les scandales et les rumeurs ne manquent pas. Je ne veux pas que cela nuise à ma femme, à mes enfants et à moi-même. C'est pourquoi je ne veux pas de photos. Je vis heureux ainsi et je ne veux pas que la publicité y vienne perturber mon quotidien.

Pas d'interviews non plus.

Le moins possible. Avec vous, c'est différent, car vous ne m'avez jamais demandé de reportage sur l'Argentine. Et j'ai beaucoup d'affection pour vous. J'aime les gens des Amériques. Ma femme est nord-américaine. Mon meilleur ami est argentin. vous êtes moins formel, plus spontanés dans vos relations. Je ne sais pas, peut-être parce que vous êtes une nation jeune.

Qui est votre meilleur ami ?

Peu importe. C'est un réalisateur qui vit ici depuis des années.

Fernando Birri ? devine ma femme.

Oui, comment l'avez-vous su ? Vous avez donc aussi étudié à l'Institut du film de Santa Fe ? Quel est son nom ? (Il prend des notes)

Etes-vous déjà allé en Argentine ?

Non. Mais Fernando me parle toujours de l'Argentine. Et ici, à Rome, j'ai rencontré un grand peintre argentin, Juan Carlos Castagniro. J'ai aussi un cousin qui vit à Mendoza ou à Santa Fe, je ne me souviens plus exactement.

Evoquant son cousin, il se perd dans ses pensées, silencieux. Puis il se reprend en riant légèrement. Des souvenirs d'enfance ?

Oui, de mon oncle Giuseppe, le frère de mon père. Un homme de gauche, il a surnommé mon cousin, celui qui vit en Argentine, Lénine. Il s'appelle donc Lénine Girotti. Et sa fille, ma cousine, a été baptisée Zola, en hommage à Emile Zola. J'ai un autre cousin dont j'ignore s'il ne porte pas Marx comme deuxième prénom. Oncle Giuseppe...

Les idées de son Oncle Giuseppe éveillent sa curiosité quant à la situation en Argentine. Nous bavardons un moment. Je lui demande s'il aimerait venir dans notre pays. 

Oui, bien sûr. J'aimerais beaucoup.

Je regarde ma montre. L'interview dure depuis deux heures. Pour un sujet "difficile", il est plutôt réussi. En réalité, Mario Girotti (Terence Hill-Trinita) s'est révélé être, comme on dit en Italie, " très classe", un talent exceptionnel. Tout simplement. Aucune affectation, aucune réponse apprise par cœur, juste une incroyable spontanéité dans son univers. Il explique qu'il a monté le studio pour "travailler, je ne sais pas encore exactement quoi". On s'en doute presque: M. Mario Girotti se lance dans la production. Je lui demande des photos. Il me regarde, surpris.

Je n'en ai pas. Je ne garde jamais de photos sur moi.

Il commence à énumérer les noms des producteurs pour lesquels il a travaillé sur chaque film. Il va falloir les passer en revue. Il ne lui reste rien de ses anciens films: il aurait été intéressant de le montrer en forgeron dans "Anna de Brooklyn". Ou en cowboy germanique qui "chevauchait" à travers la Yougoslavie. Ou, plus simplement, une photo de Trinita flânant dans une rue romaine. mais non. M. Mario Girotti, alias Terence Hill, n'a même pas pris la peine de se prendre en photo. "un de ces jours", me dit-il, "je me déciderai", et il en prend quelques unes. "C'est juste que j'en reçois tellement." Tant de lettres me demandant des photos. Il est temps que je satisfasse les souhaits de mes "fans".

Informel, sans prétention, au sommet d'un succès qu'il a atteint sans publicité ni interviews, intelligent et lucide, cet acteur surprend par sa simplicité. Il lui sera très difficile, même s'il interprète d'autres rôles, de se défaire de l'image de Trinita. Et il le sait. C'est pourquoi il a dit ne pas vouloir être catalogué, qu'une bonne comédie serait peut-être préférable. Mais pour le moment, il n'y a aucun danger: cet anti-cowboy invincible, qui ne tue ni ne hait personne, qui mange et boit comme tout le monde, a encore de beaux jours devant lui.

(Document reçu avec l'aimable autorisation d'Aaerolineas Argentinas)





Commentaires

  1. Formidable entretien ! Un des plus intéressants que j'ai pu lire sur Terence Hill. Merci infiniment pour ce super travail et plus généralement pour entretenir la flamme hillienne ;-) !

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    1. Bonne idée que de traduire tous ces articles, mais ce serait sympa de citer vos sources, c'est à dire mon blog où sont reproduits et scannés tous ces articles et documents originaux: monnomestpersonne1973.blogspot.fr

      JO

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